30Mar

La validité des preuves recueillies par un détective privé contre un salarié

Les preuves recueillies contre un salarié, si elles procèdent bien d’un besoin légitime de l’employeur et d’un droit qui lui est reconnu de contrôler l’activité de ses salariés durant leur temps de travail au sein de l’entreprise, ne sont pas admissibles en tant que moyen de preuve légal et ne peuvent donc justifier un licenciement lorsqu’elles sont obtenues par des procédés clandestins ou déloyaux.

Cependant, si la preuve de la faute du salarié obtenue au moyen d’un procédé déloyal ou illicite peut être jugée irrecevable dans le cadre d’une procédure de licenciement, elle peut être néanmoins valablement produite dans les cas d’infractions pénales telles que le vol en entreprise par un salarié.

I) La recevabilité des preuves en matière prud’homale

En matière prud’homale, la preuve est par principe libre. Toutefois, le particularisme du contentieux prud’homal a amené la jurisprudence à tempérer, sous conditions, l’exigence de la loyauté de la preuve. La preuve apportée par l’employeur à l’appui de son argumentation ne doit pas, par principe, porter atteinte à la vie privée su salarié sur le fondement de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, 9 du Code civil et L.1121-1 du Code du travail.

L’employeur ne peut pas user de moyens de preuves illicites pour justifier le bien fondé du licenciement d’un salarié. En principe, est prohibée la filature par un enquêteur privé (Cour de cassation, Chambre sociale, 26 novembre 2002, n°00-42401), ainsi que tous les moyens de preuves illicites. Les modes de preuve non recevables sont obtenus par un dispositif de surveillance dissimulé, comme la filature considérée comme un piège tendu par l’employeur au salarié.

En la matière, la preuve est recevable uniquement si les moyens employés contre le salarié ont été portés à sa connaissance. Ils doivent aussi être pertinents au regard de la finalité poursuivie conformément à l’article L.121-7 du Code du travail. Ainsi, la Cour de cassation dans un arrêt rendu par la chambre sociale le 23 novembre 2005 (n°03-41401) précise : « Attendu que si l’employeur a le doit de contrôler et de surveiller l’activité de son personnel durant le temps de travail, il ne peut mettre en œuvre un dispositif de contrôle qui n’a pas été porté préalablement à la connaissance des salariés », tel le recours à un détective privé.

En faisant surveiller et suivre un salarié par une agence d’ARP, et consigner ses allers et venues dans un rapport destiné à être produit dans une instance, l’employeur a enfreint les principaux fondamentaux de respect de la liberté individuelle et de la vie privée, sans justifier d’aucun motif légitime puisque ce dernier n’était plus en lien de subordination avec elle (Cour d’appel de Chambéry, 6 septembre 2011, n°10/02697).

De même, un salarié, comme tout citoyen, a droit au respect de sa vie privée pendant la suspension de son contrat. Méconnait ce respect et constitue un procédé déloyal la filature de la salariée par un détective privé à qui l’employeur a demandé de faire une enquête (Cour d’appel d’Orléans, 24 février 2011, n°10/02442).

En tout état de cause, la Cour de cassation  considère qu’une filature organisée par l’employeur pour contrôler et surveiller l’activité d’un salarié constitue un moyen de preuve illicite (Cour de cassation, chambre sociale, 5 novembre 2014, n°13-18.427 / Cour de cassation, 2ième chambre civile, 17 mars 2016, n°15.11-412).

II) La validité des preuves en matière pénale 

La preuve pénale consiste à démontrer non seulement l’existence d’un fait, mais encore son imputation à une personne, ainsi que l’intention que celle-ci avait de commettre un tel fait. La charge de la preuve incombe en matière pénale à l’accusateur. Ainsi, l’article 427 du Code de procédure pénale, de portée générale, dispose que « hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d’après son intime conviction ». En d’autres termes, la preuve en droit pénal est libre. Cependant, les preuves utilisables se limitent à celles légalement admissibles. La liberté de la preuve n’autorise pas le recours à toutes sortes de pratiques, et ne saurait justifier tous les excès.

Ainsi, « les juges répressifs ne peuvent écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motifs qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale. Il leur appartient seulement, en application de l’article 427 du Code de procédure pénale, d’en apprécier la valeur probante » (Cour de cassation, chambre criminelle, 6 avril 1994).

Dès lors qu’une infraction pénale est soupçonnée ou commise, la surveillance et la filature d’un enquêteur privé est admissible. La preuve sera admise en cas d’infraction pénale commise par le salarié dans le cadre de son travail (Cour de cassation, chambre sociale, 6 novembre 2001 / Cour de cassation, chambre sociale, 24 mai 2005).

D’ailleurs, dans le cadre d’une affaire de vol entre une employée et son employeur, les juges ont condamné cette dernière à rembourser intégralement le plaignant pour les frais et honoraires du détective privée engagées pour rapporter la preuve de l’infraction (Tribunal correctionnel d’Alençon, 24 juin 2010). Egalement, dans une affaire d’abus de confiance commis par un salarié, la chambre criminelle de la Cour de cassation  a reconnu la validité des rapports des enquêteurs privés (Cour de cassation, Chambre criminelle, 6 novembre 2001, n°00-867-44).

L’employeur peut recourir aux services d’un huissier pour dresser constat d’une situation [Cass. soc., 10 oct. 2007, n° 05-45.898] : l’intervention de l’huissier ne constitue pas une opération de contrôle nécessitant une information préalable.

Enfin, dans le cas d’un flagrant délit, la preuve est acquise et un enquêteur privé comme tout citoyen peut interpeller une personne en flagrant délit, comme le préconise l’article 73 du Code de procédure pénale : « Dans les cas de crime flagrant ou de délit flagrant puni d’une peine d’emprisonnement, toute personne a qualité pour en appréhender l’auteur et le conduire devant l’officier de la police judiciaire le plus proche ».