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Le droit de contrôle des salariés par l’employeur

L’utilisation de procédés de surveillance doit être justifiée par le fonctionnement de l’entreprise, notamment pour des raisons de sécurité. L’employeur a le droit de contrôler le temps de travail de ses salariés et les accès à l’entreprise. Le droit du travail tente de concilier deux impératifs : le droit pour l’employeur de contrôler la bonne exécution du travail de ses salariés et le droit au respect de la vie privée et de la liberté individuelle accordée à chacun d’eux.

Le contrôle est admis dans son principe par la chambre sociale de la Cour de cassation  puisqu’elle affirme le principe en ces termes : « L’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés pendant le temps de travail » et a réaffirmée que « L’employeur a le pouvoir de contrôler et surveiller l’activité de son personnel pendant le temps de travail » (Cour de cassation, chambre sociale, 4 juillet 2012, n°11-30.266).

Pour pouvoir se prévaloir des éléments recueillis lors de la surveillance d’un salarié, l’employeur doit avoir respecter des conditions. Toutefois, de nombreux moyens de contrôle des salariés permettent aux employeurs et de fait, aux enquêteurs de pouvoirs collecter des éléments matériels dans le cadre d’une enquête.

 I) Les conditions de surveillance des salariés

Il ne suffit pas que la surveillance se rattache à l’activité professionnelle et soit justifiée pour qu’elle soit licite. Lorsque l’employeur envisage de procéder au contrôle de ses salariés sur le lieu de travail, il doit obligatoirement respecter quatre règles cardinales.

Selon le principe de l’article 9 du Code civil, chacun a droit au respect de sa vie privée et le Code du travail a renforcé ce droit par l’article L.1121-1 : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».De ce fait, les moyens de surveillance peuvent être introduits dans l’entreprise à condition que le contrôle soit proportionné au but recherché.

Ensuite, l’employeur ne peut pas mettre en œuvre un dispositif de contrôle s’il n’a pas été porté préalablement à la connaissance de ses salariés. Avant toute mise en œuvre, au sein de l’entreprise, de moyens techniques de contrôles, il est tenu d’informer et de consulter le comité d’entreprise. Le code du travail prévoit que pour informer les salariés, le comité d’entreprise (obligatoire dans les entreprises de plus de dix salariés) doit être consulté avant toute installation d’un système de contrôle de l’activité, lorsque ces systèmes « sont susceptibles d’avoir des conséquences sur l’emploi, la qualification, la rémunération, la formation ou les conditions de travail du personnel ». De plus, le délégué du personnel dispose d’un droit d’alter pour dénoncer toute atteinte aux droits et libertés individuelles du salarié.

Dans un arrêt de principe du 7 novembre 1962, la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation a considéré que les rapports et dépositions d’enquêteurs privés peuvent être pris en considération par les magistrats à condition que certaines obligations d’informations aient été respectées au sein de l’entreprise (respect du code du travail, affichage, règlement intérieur ou contrat de travail).

L’utilisation de procédés de surveillance doit être justifié par le fonctionnement de l’entreprise, notamment pour des raisons de sécurité. Il doit y avoir un intérêt légitime. Cet intérêt peut être constitué par l’existence de risques particuliers de vols ou de surveillance d’un poste de travail particulièrement dangereux.

L’obligation d’utiliser des procédés licites est faite aux employeurs. Le recours à un procédé illicite de surveillance dans le seul but de contrôler l’activité professionnelle des salariés pourrait être condamné par les tribunaux. En effet, lorsque la faute du salarié a été relevée grâce à l’utilisation d’un procédé illicite, l’employeur ne peut, à aucun moment, le sanctionner pour cette faute. C’est le cas, par exemple, lorsqu’un employeur n’a pas prévenu le salarié concerné qu’il était enregistré ou filmé. Par exemple, l’instauration d’un système d’écoute dissimulé dans le faux plafond d’un lieu de travail constitue un procédé illicite de surveillance.

Le rôle de l’enquêteur à ce stade est de conseiller l’employeur sur la mise en place d’un système répondant aux conditions posées. A défaut, si le comportement fautif a été constaté par un procédé non réglementaire, il faudra réfléchir au recours d’un moyen licite pour collecter la preuve de la faute du salarié pour qu’elle soit recevable en justice.

Depuis l’arrêt du 5 novembre 2014, la Cour de cassation a admis la licéité d’un contrôle organisé par l’employeur pour observer les équipes de contrôle dans un service public de transport dans leur travail au quotidien sur les amplitudes et horaires de travail. La Cour de cassation a énoncé clairement que : «  le contrôle de l’activité d’un salarié, au temps et au lieu de travail, par un service interne à l’entreprise chargé de cette mission ne constitue pas, en soi, même en l’absence d’information préalable, un mode de preuve illicite ».

Les motifs retenus par la Cour sont de deux ordres : la surveillance était limitée au temps de travail et elle n’avait impliqué aucune atteinte à la vie privée des salariés observés. Il s’agissait, en l’espèce, d’un contrôleur de bus, licencié notamment pour plusieurs abandons de poste, constatés par des cadres ayant reçu pour mission de vérifier les conditions de travail des équipes de contrôle. La Cour de cassation n’a pas suivi le salarié qui estimait, que n’ayant pas été informé préalablement de cette surveillance interne, elle devait être assimilée à une filature portant nécessairement atteinte à sa vie privée. Le pourvoi a été rejeté par la Cour.

Dans plusieurs décisions antérieures, la Cour de cassation  avait déjà considéré que la simple surveillance d’un salarié faite sur les lieux du travail par son supérieur hiérarchique, même en l’absence d’information préalable de l’intéressé, ne constitue pas en soi un mode de preuve illicite.

Ainsi, afin de remplir les conditions prescrites par la jurisprudence, une surveillance du salarié pourrait être réaliser par un enquêteur, sans en faire état. Au moment de la révélation du comportement du salarié, l’enquêteur peut faire appel à l’employeur, qui dispose du droit de contrôler à tout moment ses salariés sans les prévenir, durant leur activité en vertu du pouvoir de direction qui lui ai conféré.

II) Les moyens permettant la surveillance des salariés 

Les moyens permettant à l’employeur de surveiller et contrôler l’activité d’un salarié sont nombreux.

Un employeur a la possibilité d’accéder à l’ordinateur mis à la disposition de son salarié dans le cadre de son travail. En principe, l’accès à internet au travail doit servir à l’exécution des tâches professionnelles et ne pas être utilisé à des fins personnelles par le salarié. Dans tous les cas, l’employeur possède un droit d’accès étendu au matériel informatique utilisé sur le lieu de travail. Cela signifie qu’au cours d’une enquête, il est possible de faire un clonage du disque dur de l’ordinateur du salarié pour pouvoir analyser les données.

L’employeur peut accéder aux fichiers figurants sur le disque dur de l’ordinateur de son salarié, hormis lorsque le salarié a identifié ces documents comme étant personnels. Mais la jurisprudence considère que le fait de nommer un disque dur « données personnelles » n’empêche pas l’employeur d’y accéder pour autant (Cour de cassation, chambre sociale, 4 juillet 2012).

De même, l’employeur peut accéder aux mails du salarié sous certaines conditions. Si les courriers électroniques ne sont pas identifiés comme étant personnel, l’employeur peut les consulter. Le dirigeant peut contrôler les connexions internet du salarié même en son absence, puisque celles-ci sont présumées avoir un caractère professionnel. Il peut aussi consulter la liste des favoris.

L’ensemble de ses portes d’accès à des données est une mine d’informations considérables pour l’enquêteur dans le cadre d’une mission visant un salarié. D’autant que l’accès à ses informations, est réputé légal et légitime pour l’employeur.

Beaucoup de salariés ont librement accès au téléphone dans le cadre de leur activité. L’employeur a le droit d’effectuer des relevés de la durée, du coût et des numéros des appels passés à partir de chaque poste et provenant de l’autocumutateur de l’entreprise. La chambre sociale a également considéré que la consultation par l’entreprise de ses communications téléphoniques auprès de l’opérateur est licite. Cette vérification n’est pas conditionnée à une obligation préalable d’avertir les salariés.

Quant au téléphone portable mis à la disposition du salarié pour les besoins de leur activité professionnelle, la Cour de cassation considère que l’employeur peut consulter les sms reçus sur ces téléphones même en l’absence de l’intéressé, ces messages étant présumés avoir un caractère professionnel. En revanche, les messages reçus sur ces téléphones ne peuvent pas être consultés par l’employeur dès lors qu’une mention « personnelle » est identifiée dans l’objet du message.

Les écoutes réalisées par l’employeur constituent un mode de preuve juridiquement valable lorsque les salariés ont été préalablement avertis que leurs conversations téléphoniques étaient susceptibles d’être enregistrées.

Les documents figurant sur le lieu de travail d’un salarié sont présumés avoir un caractère professionnel. En principe, l’employeur peut donc librement les consulter. A ce titre, il peut notamment accéder aux documents figurants dans les armoires ou dans les tiroirs du bureau du salarié. En revanche, la jurisprudence considère que cette consultation est restreinte dès lors que le salarié a identifié les documents comme étant personnels. Dans ce cas, l’employeur ne peut y accéder qu’en la présence du salarié ou après avoir demandé au juge la désignation d’un huissier de justice pour le faire (via ordonnance sur requête). Dans le même sens, lorsqu’un salarié reçoit des lettres sur son lieu de travail, le contenu de ses courriers est protégé par le secret des correspondances si leur caractère personnel est spécifié.

Le recours à la vidéosurveillance peut être autorisé s’il est établi dans l’unique but de protéger l’entreprise contre des risques particuliers. Dans tous les cas, les salariés doivent en être informés. En revanche, l’employeur est libre de mettre en place des procédés de surveillance des locaux dans lesquels les salariés ne travaillent pas.

Enfin, l’employeur peut mettre en place des systèmes de badges électroniques permettant de vérifier les horaires d’entrée et de sortie du salarié dans l’entreprise et de contrôler son activité.

Grâce au droit de contrôle des salariés par leur employeur, la collecte d’informations est facilitée pour l’enquêteur privé. Mais, si l’employeur bénéficie de blancs-seings, il n’en demeure pas moins que la jurisprudence dans des cas précis a validé la surveillance et la filature d’un détective privé.